Voici le réseau politique de la résistance acadienne au Massachusetts après la déportation (1756-1769).
Les outils issus de l’approche de l’analyse de réseau permettent d’illustrer la participation des acteurs à des actions politiques par le biais de nodules (représentant les acteurs et les actions) et de liens (représentant la participation des acteurs aux actions). Grâce à cette méthode, le réseau que vous avez sous les yeux représente sous forme visuelle l’information sur l’activité politique des Acadiens déportés au Massachusetts qu’il est possible de compiler à partir des pétitions acadiennes publiées dans l’ouvrage de Placide Gaudet, Généalogie des familles acadiennes. Cette illustration ne représente que de manière partielle et incomplète les réseaux politiques formés par les Acadiens en exil au Massachusetts à l’époque des dérangements.
Malgré l’aspect fragmentaire du réseau, il est néanmoins possible d’émettre quelques hypothèses provisoires quant à la structure du réseau associatif acadien au Massachusetts et la position plus ou moins centrale que leurs diverses revendications occupent au sein de leur mouvement de résistance. Dès le premier regard, il est en effet possible de discerner la présence périphérique d’acteurs et de pétitions qui ne sont pas rattachés au noyau principal de l’activisme politique acadien au Massachusetts. Ces pétitions sont alors signées par des acteurs individuels qui s’adressent directement aux autorités coloniales dans l’espoir qu’elles puissent intervenir en leur faveur pour redresser une situation qui leur est particulière. Il ne s’agit donc pas dans ces cas de recours collectifs.
Parmi ces pétitions individuelles, la revendication la plus commune (au nombre de trois) vise la reconstitution de réseaux de parenté (nodules des carrés verts, RP=réseaux de parenté). Il est d’autant plus significatif que ces pétitions aient été rédigées en 1756, c’est-à-dire dans les premiers mois suivant le débarquement des déportés acadiens dans le port de Boston. L’une des préoccupations initiales des Acadiens en exil, après avoir retrouvé des membres de leur famille dont ils avaient été séparés au cours de la déportation, semble donc avoir été d’obtenir la permission de se réunir à nouveau. D’autres individus, tels Louis Robichaud (PM1756) et Jean Mius (PM1760), ont également pétitionné le gouvernement du Massachusetts pour obtenir la permission de se relocaliser dans un autre village d’accueil, vraisemblablement pour augmenter leurs chances de trouver du travail ou des membres de leur famille étendue (carrés jaunes; PM=Passeport Massachusetts). Il ressort également du réseau que plusieurs chefs de famille se retrouvèrent dans un tel état de misère qu’ils n’avaient guère d’autres options que de pétitionner directement l’assemblée législative pour obtenir une forme de pension permettant de subvenir aux besoins de leur famille (carrés marrons; P=Pension; P1758, P1760, P1768, P1769). D’autres acteurs qui se retrouvent dans le noyau central de l’activisme acadien au Massachusetts ont également signé des pétitions similaires (P1757, P1758, P1758, P1759, P1766). D’ailleurs, la récurrence régulière de ce type de pétition suggère que plusieurs familles acadiennes demeurèrent dépendantes du soutien de l’État colonial pendant près d’une décennie suivant la déportation. Finalement, il est important de noter que la volonté du retour dans leur terre ancestrale de la péninsule de la Nouvelle-Écosse demeure une revendication très marginale durant toute cette période (carré vert foncé; R=Retour; R1768). Seuls Pierre Duon et Pierre Henri adressèrent une telle requête à l’assemblée du Massachusetts et ce, quand même assez tardivement, lorsque la plupart des familles acadiennes avaient déjà quitté la colonie.
La seconde illustration effectue un zoom sur le noyau central du réseau politique acadien au Massachusetts. Pour faciliter l’examen de sa structure et l’identification de ses acteurs principaux, tous les individus dont le nom ne figurait que sur une seule pétition ont été éliminés du réseau. Ce procédé permet ainsi de faire ressortir le fait que plusieurs anciens députés de l’Acadie, des leaders acadiens élus lors d’assemblées de paroisse, refont surface au Massachusetts en continuant de porter les revendications des Acadiens devant les autorités coloniales. Nous retrouvons ainsi des députés des principales paroisses acadiennes (les triangles inversés roses; en ordre d’importance : les Mines[1] (DM), Annapolis Royal[2] (DAR), Cobequid[3] (DCD), Rivière-aux-Canards[4] (DRC), Piziquid[5] (DP) et Beaubassin[6] (DB). L’engagement politique de ces députés remonte pour la plupart d’entre eux (12 en tout) à la présidence de Paul Mascarene (1740-1749) au conseil de la Nouvelle-Écosse (triangle orange : CPM). Le réseau indique que ces anciens députés sont demeurés actifs sur la scène politique du Massachusetts.
Certaines de ces pétitions révèlent également que les Acadiens sont parvenus malgré tout à maintenir un haut niveau de coordination politique au Massachusetts. Par exemple, la pétition de 1756 demandant la reconstitution du réseau de parenté des pétitionnaires (carré vert, RP1756) a été signée par des leaders acadiens se retrouvant dans les comtés d’Oxford, de Concord, de Worcester et d’Andover. Une telle entreprise a non seulement exigé des pétitionnaires qu’ils bravent les interdictions de déplacement imposées par les autorités du Massachusetts, mais qu’ils tiennent également des assemblées secrètes en ces lieux pour discuter du contenu de la pétition.
Le noyau du réseau de l’activisme politique acadien au Massachusetts nous livre également des renseignements essentiels sur les projets collectifs de la population déportée. Les deux nodules les plus centraux du noyau représentent des pétitions demandant la permission d’obtenir un passeport pour se transporter en territoires français et attestent de l’existence d’un réseau acadien trans-atlantique. À la signature du traité de Paris, qui met fin à la Guerre de Sept Ans, une lettre circulaire (LC1763 dans le premier réseau), rédigée par des Acadiens déportés en Angleterre, traverse la Manche et l’Atlantique en passant de mains en mains auprès des anciens députés pour les inviter à se mobiliser afin de rejoindre les membres de leurs familles étendues qui ont été déportés en France. Soixante-huit chefs de famille et veuves apposent alors leur signature sur une pétition demandant leur rapatriement en France et plusieurs d’entre eux se rendent même dans les principaux ports du Massachusetts espérant organiser leur transport en France (carré jaune, PF1763). N’obtenant pas la permission de quitter la Nouvelle-Angleterre à ce moment, 49 d’entre eux signent une nouvelle pétition l’année suivante pour obtenir un passeport leur permettant de rejoindre l’île de Saint-Domingue (carré jaune, PSD1764). Essuyant un nouveau refus, quelques chefs de famille signent d’autres pétitions pour se transporter dans n’importe quelle colonie française en 1765 (carré jaune, PCF1765) ou au Canada en 1766 (carré jaune, PC1766). Il ressort alors de ce réseau que le principal projet collectif que les Acadiens ont formulé après leur déportation au Massachusetts était tout simplement de quitter cette terre d’exil qui ne leur avait apporté que peines et misères.
[1] Claude Boudreau, Jean Landry, Claude Leblanc, Francois Leblanc, Jacques Leblanc, Pierre Leblanc et René Leblanc.
[2] Joseph Dugas, Charles Landry, Jean Melanson, Jean-Baptiste Pellerin et René Richard.
[3] Pierre Doucet, Jean Hébert et Joseph Robichaud.
[4] Joseph Hébert et Jean Melanson.
[5] Pierre Landry.
[6] Pierre Hébert.
Xavier Bériault est actuellement stagiaire postdoctoral au Groupe d'histoire de l'Atlantique français à McGill University. Il vient de terminer son doctorat à l'École d'études politiques de l'Université Ottawa.
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